Guinée-Bissau : l’opération coup d’État, ou l’art d’un président de manipuler la peur

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À Bissau, le scénario ressemble moins à une tentative de coup d’État qu’à un épisode supplémentaire d’une présidence qui, depuis 2020, n’a cessé de manipuler les crises pour se maintenir au centre du jeu. Umaro Sissoco Embaló, prompt à s’autoproclamer victime, orchestre une communication politique qui sent davantage la stratégie de survie que la transparence démocratique. Trois jours après le scrutin dont il s’est lui-même attribué 65 % des voix, sans résultats officiels, le président bissau-guinéen joue une carte dangereuse : installer dans l’opinion l’idée d’une menace militaire imminente pour justifier son verrouillage du pouvoir.

Le récit qu’il diffuse exclusivement par des médias choisis, avec une précision presque théâtrale sur son arrestation non violente, apparaît comme une opération de communication calibrée. La simultanéité des arrestations du chef d’état-major, de son adjoint et du ministre de l’Intérieur soulève une question fondamentale : comment un président peut-il être arrêté… en compagnie de ceux qui sont censés garantir sa sécurité ? Cette incohérence alimente l’hypothèse d’un calcul politique, non d’une insurrection spontanée.

Dans le même temps, les tirs entendus autour du palais et les mouvements de soldats créent un décor de chaos utile à un homme dont la légitimité électorale est contestée par tous ses adversaires majeurs. Embaló semble chercher à construire une posture de martyr républicain pour étouffer le véritable enjeu. La confrontation autour des résultats d’une élection déjà contestée, marquée par l’exclusion de Domingos Simões Pereira et par la montée d’un outsider, Fernando Dias, soutenu par le PAIGC.

Derrière l’accusation de coup d’État, il y a une bataille narrative. Embaló veut s’imposer comme le rempart ultime contre une armée qu’il a longtemps instrumentalisée. En attribuant la crise au chef de l’armée de terre, il déplace la responsabilité, détourne l’attention de son propre isolement politique et prépare le terrain pour imposer un contrôle plus dur des institutions.

La Guinée-Bissau ne vit peut-être pas un coup d’État militaire, mais un coup d’avance communicationnel d’un président en perte d’ancrage. Embaló ne se défend pas contre une attaque : il tente de gagner une guerre de perception dont il a lui-même allumé la mèche.

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